Taijiquan style Chen Gongfu Jia Mouvements Essentiels

Taijiquan style Chen – Essence de la Pratique et Gongfu Jia (1)

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A Chenjiagou, le lieu de création du Taijiquan style Chen, lorsque l’on souhaite évaluer le niveau d’un pratiquant que l’on ne connaît pas, et qu’on lui demande de pratiquer pour estimer son niveau, peu importe le nombre de mouvements qu’il va exécuter, on regarde en réalité avant tout attentivement – quand ce n’est pas exclusivement – son premier mouvement : jing jang dao dui 金 刚 捣 碓 « Le Gardien des Cieux pile le Mortier ».

Taijiquan style Chen Gongfu Jia Zheng Xu Dong Gardien des Cieux
Zheng Xu Dong exécutant « Le Gardien des Cieux » Jin Gang Dao Dui

En effet, si les premiers mouvements du Taijiquan sont considérés comme essentiels, le premier d’entre eux en est pour ainsi dire la quintessence.

Nous verrons dans cet article pourquoi ces premiers mouvements sont dits « essentiels », et pourquoi, parmi ceux-ci, le premier revêt une importance particulière.

Nous commencerons en examinant d’abord le rapport qu’entretient le premier enchaînement avec les autres pratiques du Taijiquan comme les armes, le tuishou et les applications martiales.

Nous reviendrons également sur la progression dans l’apprentissage du premier enchaînement. Sur ces bases, nous conclurons par le temps moyen d’apprentissage du premier enchaînement nécessaire pour un pratiquant régulier en cours du soir.

Le 1er enchaînement du Taijiquan style Chen – Gongfu Jia

Commençons par rappeler quelques éléments fondamentaux permettant de comprendre le contexte plus général et de mettre en perspective la place centrale qu’occupe le premier enchaînement du Taijiquan style Chen.

Le premier enchaînement constitue le cœur de la pratique. On l’appelle gongfu jia 功夫架 « la forme pour développer le kungfu », c.à.d. l’enchaînement qui permet de travailler l’habilité profonde et d’affiner toujours plus le travail interne et externe du Taijiquan. C’est dans la gongfu jia que résident tout l’art et la subtilité de la pratique.

Cela se traduit notamment par le temps que l’on va lui consacrer comparativement à l’ensemble des autres enchaînements.

Taijiquan style Chen Gongfu Jia Mouvements Essentiels

 

Même si cela paraît contre-intuitif – notamment aux yeux des néophytes ou des pratiquants moins avancés lorsqu’ils le comparent extérieurement, par exemple, au second enchaînement d’apparence plus martiale avec ses nombreuses frappes et sorties de forces fali – ce premier enchaînement est dans les faits, la seule forme que l’on travaille en permanence lorsqu’on veut réellement développer son habileté martiale et interne. Tous les autres enchaînements du Taijiquan style Chen en découlent et n’en sont que le prolongement et le « résultat ».

Le second enchaînement erlu paochui, de même que les très peu connus enchaînements ercengjia et sancengjia dans la forme originelle du Taijiquan (i.e. la xiaojia du style Chen) ainsi que la plupart des armes, sont ainsi considérés comme très secondaires et de surcroît « facilement » maîtrisables. Si la gongfu jia est déjà bien maîtrisée, il ne s’agira en effet plus que d’un exercice de mémorisation d’un enchaînement au cours duquel l’accent sera mis sur certains aspects particuliers de la pratique de la gongfu jia.

Taijiquan style Chen Xiaojia – Vidéo Sanceng Jia par Chen Boxiang

A ce propos, voir aussi les articles : Une bonne vitesse de pratique du Taijiquan ? (contenant notamment les vidéos de Chen Boxiang exécutant les versions ercengjia et sancenjia) et Taijiquan originel : la Xiaojia du style Chen.

Taijiquan style Chen Boxiang Tuishou Xiaojia
Chen Boxiang (à gauche) – tuishou

Contrairement aux autres arts martiaux, le Taijiquan style Chen ne s’attache pas à la pratique de techniques et d’applications – coup de pied circulaire, coup de poing, frappe de côté de l’épaule, projection de tel ou tel type, … – mais s’applique à ce que j’appelle « former le corps en mouvement ».

On dit ainsi à Chenjiagou que le Taijiquan n’est pas une shoufa 手法 « un entraînement des mains/poings » mais une shenfa 身法 « un entraînement du corps ». Cela signifie que l’objectif principal n’est pas de s’entraîner à telle ou telle technique particulière mais de former le corps de manière à atteindre la coordination parfaite de toutes les parties du corps.

Une fois ce stade atteint, peu importe la technique employée – coup de poing, coup de coude, coup d’épaule – et la direction de celle-ci, la technique sera toujours optimale. On le reformule à Chenjiagou en disant aussi :

拳不打人身打人 quan bu da ren, shen da ren.

« ce n’est pas le poing qui frappe, c’est le corps » 

Ce dont il s’agit avant tout est de conditionner toutes les parties du corps à ne faire plus qu’un, que tout soit relié et que, dès qu’une partie du corps bouge, tout le corps bouge. Dans cette optique, les autres enchaînements du Taijiquan style Chen sont l’aboutissement et la cerise sur le gâteau d’une bonne pratique du premier enchaînement qui seule permet d’atteindre cet objectif.

Sommaire Taijiquan style Chen Gongfu

Armes du Taijiquan style Chen

Rappelons d’abord que Taiji Quan veut dire « Boxe du Taiji » et que le mot quan 拳signifie littéralement le « poing » et par extension la « boxe ». Le terme Taiji Quan ne s’applique qu’au combat à mains nues et l’on utilise en Chine un autre terme pour désigner la pratique avec des armes. L’on dira ainsi Taiji Jian 太极剑 « Epée du Ta Chi » et Taiji Dao 太极刀 pour « Sabre du Tai Chi ».

Epée Tai Chi ChinoiseL’appellation Epée du Taiji Quan (ou Epée du Tai Chi Chuan), parfois utilisée, est une contradiction dans les termes, revenant à dire « Boxe à l’Epée », et il est, en tout logique, préférable de conserver l’appellation chinoise et de dire « Epée du Tai Chi » ou « Sabre du Tai Chi ».

Contrairement à une idée assez répandue, la pratique des armes est à l’origine secondaire dans le Tai Chi. La pratique des armes du Tai Chi n’a en effet commencé à prendre réellement de l’importance que de manière récente pour répondre aux besoins des démonstrations sportives et nationalistes, promues au 20ème siècle.

Ces formes modernes vont en effet d’abord être initiées dans les milieux des réformateurs bourgeois, reprises ensuite par le Guoming Tang puis, par le Parti Communiste Chinois.

Si l’aspect performatif de certains arts martiaux chinois est une constante historique bien connue, ce n’est que depuis moins d’un siècle que – émergeant du mépris des élites impériales envers les arts populaires et les pratiques physiques dans lesquels ils étaient confinés – le Kung-Fu, le Tai Chi et la pratique des armes vont être érigés en fleurons et symboles du sport national – notamment sous l’appellation « techniques nationales » guoshu 国术 signifiant « arts martiaux chinois » c.à.d. ce qui est désigné en Occident par kung-fu.

Epée Taijiquan Chen Wei Ming
Chen Wei Ming, Taiji style Yang

C’est d’ailleurs le même manque de profondeur historique qui fait aujourd’hui apparaître la pratique du Taijiquan et du Kung-Fu par les femmes comme coulant de source et parfaitement traditionnelle. Mais c’est tout simplement oublier que la pratique du Kung-Fu par les femmes chinoises, tout comme l’importance de la pratique des armes dans le Tai Chi, sont toutes deux des reconstructions datant de la même époque, et sont en grande partie des traditions sciemment réinventées.

Il est d’ailleurs symptomatique que, dans cette reconstruction des arts martiaux chinois due à des intellectuels de la première moitié du 20ème siècle – à la fois héritiers des mandarins impériaux et influencés par l’Occident – l’épée joue un rôle prépondérant dans les enchaînements aux armes du Tai Chi et du Kung-Fu Wushu.

En effet, si, déjà au 19ème siècle, l’épée a depuis longtemps disparu de l’équipement militaire des troupes chinoises – et a même depuis plusieurs siècles été rendue caduque par l’introduction des armes à feu – elle en est par contre venue à être considérée comme « l’arme des mandarins », c.à.d. de l’aristocratie de fonctionnaires lettrés de l’empire. A défaut de savoir s’en servir puisqu’ils méprisent largement toute forme d’activité physique, certains mandarins se sont en effet, depuis la fin des Ming, entichés des épées et en sont devenus de fins et fervents collectionneurs.

Sans pouvoir développer plus avant ce point ici, il suffira simplement de constater que, lors des soulèvements populaires des Qing, l’épée ne figure pour ainsi dire jamais parmi les armes utilisées par le peuple paysan (tel celui de Chenjiagou). Ce n’est qu’au début du 20ème siècle que, sous l’impulsion occidentale, le sport va commencer à progressivement se développer en Chine et les arts martiaux chinois à devenir des pratiques sportives.

Taijiquan style Chen Zhaokui Chen Zhaopei
Chen Zhaokui (à gauche) et Chen Zhaopei

Avant cela, les arts martiaux populaires chinois avaient une vocation pratique et étaient exclusivement tournés vers l’efficacité. Or, bien que cela coule a priori de source, il n’est pas inutile de rappeler que, lorsqu’on s’entraîne à un art martial à mains nues – et non à la pratique d’une ou plusieurs armes – dans un but premier d’efficacité, qu’il soit offensif ou défensif, c’est quasiment toujours en raison du monopole de la violence légitime par un pouvoir central comme l’était celui de la Chine impériale et de la prohibition des armes qui l’accompagne souvent. 1

Traditionnellement, les armes – ou pour le moins certaines – n’étaient donc l’objet d’aucune attention dans la pratique du Taijiquan. Ainsi, Chen Zhaokui, le fils du célèbre Chen Fake, alors qu’il était déjà l’un des maîtres de Taijiquan style Chen le plus reconnu de son temps, ne commencera à pratiquer les armes qu’après son retour à Chenjiagou en 1973, c.à.d. à l’âge de presque 50 ans.

Phénomène d’autant plus remarquable qu’il était précisément revenu à Chenjiagou pour y enseigner le Taijiquan à la nouvelle génération des villageois. Chen Fake, son père, lui aurait de toute évidence enseigné les armes si elles avaient eu une quelconque importance à ses yeux.

Epée Tai Chi Chen Yu Xia fille Chen Fake
Chen Yu Xia, fille de Chen Fake

Par ailleurs, quand on sait que l’on n’enseignait traditionnellement pas le Taijiquan aux filles de la famille – car elles allaient la quitter à leur mariage pour rejoindre une autre famille extérieure au clan – il est symptomatique que Chen Fake ait, à l’inverse, enseigné l’épée à sa fille Chen Yu Xia (si tant est qu’elle l’ait bien apprise auprès de lui) alors qu’il ne l’avait pas transmise à son fils Chen Zhaokui.2

Ainsi, lorsque les disciples de Chen Fake voudront apprendre les formes à l’épée que leur maître ne leur avait jamais enseignées, ils durent – pour se mettre au goût du jour des formes démonstratives – les apprendre auprès de Chen Yuxia.

Dicton de Chenjiagou 

传男不传女  chuan nan bu chuan nü

« On transmet aux hommes, pas aux femmes »

La culture traditionnelle chinoise prohibait à quiconque de se marier avec une personne portant le même nom de famille xing 姓 et restera strictement exogamique jusqu’à la première moitié du 20ème siècle.

Lorsque l’on sait, que, d’une part, à l’instar de Chenjiagou, de nombreux villages étaient mono-claniques, et que, d’autre part, il n’existe qu’un nombre extrêmement restreint de noms de familles, l’on comprendra aisément que la fille à marier allait non seulement sortir du clan mais aussi rejoindre le clan d’un village voisin, qui pouvait à l’occasion être un village ennemi.

Il était donc totalement exclu de transmettre le Taijiquan aux filles. Notons en passant qu’à cet égard, tout oppose la Chine et la France : alors qu’un milliard cinq de personnes se partagent quelques cinq cents noms de famille en Chine, une soixantaine de millions de Français portent plus d’un million cinq de noms de famille..

Chen Xin Chen Pinsan Taijiquan style Chen Xiaojia
Chen Xin (Chen Pinsan)

Le premier livre consacré au Taijiquan style Chen originel, écrit par Chen Xin au début du 20ème siècle et considéré comme « la Bible du Taijiquan » – pas plus que celui écrit à la même époque par Chen Zi Min – ne fait strictement aucune allusion à la pratique des armes.

Quand bien même, comme Qi Ji Guang trois siècles plus tôt, Chen Xin n’aurait conçu la pratique des enchaînements à mains nues que comme un simple exercice de préparation physique à la pratique des armes, il n’aurait bien évidemment pas manqué de le mentionner dans son livre.

Or, il n’aborde à aucun moment la pratique des armes et ne la signale même pas. Alors que n’importe quelle présentation moderne la plus succincte du Taijiquan fait au moins brièvement référence à la pratique des armes – ne serait-ce que pour signaler qu’elles existent – comment des sommités de l’art, comme Chen Fake ou Chen Xin, auraient-elles pu les oublier ?

Peut-être plus révélateur encore, l’on constate à l’inverse que, à la même époque, les publications des pratiquants évoluant dans les milieux bourgeois, intellectuels et citadins de Shanghai ou Beijing, y font volontiers référence et qu’ils y consacrent même certains de leurs ouvrages.  Avec ce que nous avons mentionné supra, il n’est dès lors pas surprenant que lesdits livres portent ainsi presque quasi exclusivement sur l’arme fétiche des intellectuels de l’époque, l’épée.

Chen Fake Taijiquan style Chen
Chen Fake, Taijiquan style Chen

De surcroît, à l’instar des formes à mains nues du Kung-Fu, la longueur de la plupart des enchaînements modernes aux armes du Tai Chi est révélatrice de leur origine performative. Alors que les enchaînements traditionnels étaient très courts – car il s’agissait avant tout de répéter les techniques fondamentales – les enchaînements modernes réinventés au cours du 20ème siècle, sont en effet beaucoup plus longs.

La forme originelle à l’épée du Taiji style Chen ne contenait ainsi que treize mouvements. Sa forme moderne, pour le plaisir des spectateurs, en contient désormais cinquante, soit presque quatre fois plus.

Les armes doubles, comme la double épée ou le double sabre, sont quant à elles – et cela se conçoit aisément en termes d’utilité, d’efficacité et de praticité – des formes encore plus récentes, destinées aux démonstrations à visée avant tout esthétisante.

Pour une raison que personne n’a pour l’instant pu m’expliquer à Chenjiagou, les démonstrations à la double épée du Tai Chi sont d’ailleurs – hormis Chen Zheng Lei, le préposé aux armes du Tai Chi style Chen – souvent confiées aux femmes. 

Ainsi, mon maître de Taijiquan style Chen laojia, Zheng Xu Dong, ne pratiquant ni le double sabre, ni la double épée, adressera   sa femme, Shen Zhen Jun (vidéo ci-dessous), à un autre enseignant lorsqu’elle voudra apprendre la forme à la double épée.

Il est sans doute inutile d’ajouter que les formes récentes d’Eventail du Tai Chi développées en milieu urbain à destination de femmes chinoises d’âge mûr sont à mille lieues de tout enchaînement traditionnel et de toute préoccupation d’efficacité martiale.

Il est par contre intéressant de noter que la plupart des enchaînements avec armes du Tai Chi sont relativement faciles à acquérir de façon externe par quiconque possède quelques capacités physiques et de mémorisation. Ils deviennent alors identiques à une pratique de type kung-fu de démonstration, mais au ralenti.

Il a ainsi, à juste titre, souvent été reproché à la pratique des armes du taijiquan et du kungfu – notamment par les maîtres d’armes d’escrime qui tendent à en sourire – de n’être que des routines démonstratives qui, négligeant totalement le travail à deux3 et l’affrontement contrôlé, n’ont aucune, ou peu, d’utilité pratique dans un combat réel ou un duel.

Sommaire Taijiquan style Chen Gongfu

Armes du Taijiquan style Chen et pratique de la gongfu jia

Mais l’on aurait tort de croire pour autant que la pratique des armes du Tai Chi est totalement inutile. C’est que son intérêt réside ailleurs. Cela implique toutefois, pour que les pratiques des armes du taijiquan ne soient ni de simples ersatz ralentis des routines d’armes de kungfu, ni de pures chorégraphies, qu’elles ne soient abordées que lorsque la gongfu jia et le travail interne du Taijiquan sont déjà maîtrisés.

Ce qui fait la richesse et l’intérêt de la pratique du Taijiquan tient notamment au fait que, les premiers stades de l’apprentissage passés, il existe une très grande variété de façons de pratiquer la gongfu jia, selon l’aspect particulier que l’on souhaite développer, sur lequel on va se focaliser et où va se porter toute l’intention.

Epee Tai Chi Shen Zhen Jun
Shen Zhen Jun, épée du Tai Chi

Le travail de certaines armes va, littéralement « accessoirement », permettre de développer l’un ou l’autre de ces nombreux aspects.

Plus exactement, chaque arme va ainsi être un accessoire permettant, en vue du raffinement de la gongfu jia, de travailler un aspect particulier déjà acquis avec l’enchaînement à mains nues.

En d’autres termes, au lieu de travailler un point précis lors de la pratique de la gongfu jia, on va le faire par le biais d’un support permettant de le matérialiser, sachant que chaque arme va permettre de perfectionner un point spécifique.

Ainsi, la pratique du bâton long du Taijiquan style Chen (bâton lourd de plus de 3 mètres) – et, dans une moindre mesure, celle de la hallebarde (si tant est qu’il ne s’agisse pas d’une hallebarde légère de compétition) – permet d’affermir la coordination mains-corps déjà acquise dans le 1er enchaînement et de forcer la primauté du travail du corps sur les mains tout en consolidant leur coordination. La pratique du bâton long permet, en outre, de développer les capacités physiques, notamment la force musculaire et l’endurance.

Sommaire Taijiquan style Chen Gongfu

Tuishou du Taijiquan style Chen et gongfu jia

Le travail à deux du tuishou 推手 « pousser mains » – qui n’est traditionnellement enseigné que lorsque l’on a suffisamment développé son gongfu c.à.d. son habileté (environ trois ans de pratique intensive en moyenne) – est lui-même considéré comme une simple variante de la pratique de la gongfu jia (premier enchaînement du Taijiquan style Chen).

On dit d’ailleurs à Chenjiagou que gongfu jia et tuishou sont dans le fond, une seule et même chose, ou encore que la gongfu jia est un enchaînement (taolu) seul et le tuishou, un enchaînement à deux. Parmi les différences notables entre les deux, on ajoute néanmoins que, dans le premier cas, on est tourné sur l’écoute de sa propre force alors qu’on est à l’écoute de la force de son opposant, dans le second.

Chen Zhaokui Tuishou Taijiquan style Chen
Chen Zhaokui (à droite) – tuishou

En d’autres termes, dans la pratique de la gongfu jia, l’intention est tournée vers l’intérieur, et vers l’extérieur lors du tuishou. Il est, dans ce dernier cas, supposé que l’intégration corporelle a déjà été accomplie grâce à la pratique de la gongfu jia, et qu’il n’est donc plus besoin de se concentrer sur l’interne (les automatismes corporels étant déjà intégrés).

On souligne aussi à Chenjiagou que, parmi les différences notables entre gongfu jia et tuishou, il faut pratiquer la gongfu jia comme s’il y avait quelqu’un – un adversaire – et pratiquer le tuishou comme s’il n’y avait personne Cela signifie que lors de la pratique de l’enchaînement seul, il faut donner du sens martial à chaque mouvement en se représentant mentalement les applications martiales ainsi que son ou ses opposants, et que lors du tuishou, il ne faut pas hésiter, ne pas se retenir, et qu’il faut frapper sans aucune retenue.

Notons pour finir que cette dernière formule ne s’applique que pour les pratiquants avancés qui ont déjà une bonne maîtrise de la gongfu jia d’une part, et ont déjà pratiqué le tuishou, d’autre part. C’est en effet une erreur pédagogique fondamentale de vouloir faire travailler – et, souvent, ne serait-ce que montrer – les applications martiales des mouvements avant que ces conditions ne soient remplies. Cela se fait, en effet, au détriment du travail bien plus important de la structure et de la bio-mécanique des changements.

Joueur Pipeau Tai Chi Chen
Pipeauteur… 😎

On dit à Chenjiagou qu’il y a trois raisons principales qui poussent les enseignants à insister sur les applications martiales des mouvements.

La première est qu’ils veulent impressionner leurs élèves par quelques applications. Ces applications martiales ne fonctionnent qu’avec des élèves dociles et l’on ne trouvera bien entendu jamais ce type d’enseignants engagés dans des combats où il ne s’agit là plus simplement d’éblouir des disciples consentants mais d’affronter de réels combattants comme ceux de MMA.

La seconde est qu’ils n’ont rien d’autre à montrer car ils ne connaissent pas les règles subtiles des changements internes et biomécaniques de la gongfu jia. Ces deux premières raisons se combinent souvent.

Notons aussi en passant que le manque de connaissance des règles techniques de la pratique pousse également souvent ces enseignants – afin que leur Tai Chi ne soit pas relégué au statut de simple gymnastique exotique – à combler ce vide soit par des discours théoriques sans aucun lien avec la pratique (i.e. saupoudrage de yin yang, cinq mouvements, cosmogonie, médecine chinoise, méridiens d’acupuncture, …), soit par un enseignement axé sur des pratiques de type Qi Gong ou New-Age (développement du sens proprioceptif, respiration, visualisation, méditation, …).

Sur la même thématique, voir l’article Tout ce que le Tai Chi n’est pas.

Chen Zhaokui Tuishou Qinna Tai Chi style Chen
Chen Zhaokui (à droite) Tuishou & Qinna

Il est d’ailleurs remarquable que le Taijiquan style Chen originel, la Petite Forme Xiaojia, dans son enseignement, se passe totalement de tous ces artifices et se concentre exclusivement sur les aspects concrets de la pratique en dehors de toute considération ésotérique ou théorique superflue (le concret et le matériel n’excluant pas la subtilité …).

La troisième raison, la plus rare, ne concerne que ceux, peu nombreux,  connaissant réellement les règles de la pratique de la gongfu jia. Insister et orienter l’élève vers l’imitation extérieure des applications martiales est alors une volonté délibérée de ces maîtres qui ne veulent pas transmettre les mécanismes fondamentaux de la pratique et détournent ainsi sciemment l’attention des élèves, du travail essentiel.

Un dicton traditionnel le formule en disant :

宁教十手,不传一口

Ning jiao shi shou, bu chuan yi kou

L’on peut traduire littéralement le dicton par : « Plutôt enseigner dix mains que de transmettre une parole », ce qui signifie :

« Plutôt montrer dix applications martiales que d’expliquer comment pratiquer ».

Sommaire Taijiquan style Chen Gongfu

Mouvements essentiels du Taijiquan style Chen et gongfu jia

Comme nous venons de le voir, le travail interne et l’affinement continuel de l’habileté martiale résident dans la gongfu jia, c.à.d. le premier enchaînement, le seul que l’on pratique constamment toute sa vie. Si le 1er enchaînement est le cœur de la pratique, à l’intérieur de celui-ci, les 13 premiers mouvements du Taijiquan originel (ou les 15 premiers dans la Vieille Forme laojia du Taijiquan style Chen) revêtent une place particulière et sont considérés comme les « mouvements essentiels » de l’enchaînement.

Nous avons fait remarquer qu’à Chenjiagou, on se contente même de ne regarder que le premier mouvement – appelé « le Gardien des Cieux pile le Mortier » – d’un pratiquant pour estimer son niveau. La raison en est simple : si celui-ci n’est pas bon, cela ne sert à rien de perdre son temps à regarder la suite.

Si le premier mouvement n’est pas maîtrisé, les autres ne risquent pas de l’être, et comme celui-ci contient les changements les plus fondamentaux, s’ils ne sont pas intégrés au début, il n’y a aucune chance pour qu’ils le soient dans la suite de l’enchaînement. On résume ceci à Chenjiagou en disant « si l’on a compris le Gardien des Cieux, on a compris le Taijiquan ».

Dans la seconde partie de cet article, nous verrons l’importance et la place particulière que ce premier mouvement, ainsi que la posture préparatoire et les 13 mouvements essentiels, occupent au sein du premier enchaînement du Taijiquan style Chen. Nous y verrons notamment que la progression dans l’apprentissage du premier enchaînement n’est pas linéaire, examinerons la pédagogie traditionnelle à cet égard, et conclurons par le temps d’apprentissage standard pour des élèves occidentaux en cours du soir. 

Lire la suite de l’article : Taiji-Quan style Chen – Essence de la Pratique et Gongfu Jia (2) et Taiji-Quan et Shaolin et la troisième partie dédié aux implications des Mouvements Essentiels de la Gongfujia sur la progression lorsque l’on souhaite apprendre le Taiji-Quan style Chen.

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Armes du Taijiquan style Chen

Armes du Taijiquan style Chen et pratique de la gongfu jia

Tuishou du Taijiquan style Chen et gongfu jia

Mouvements essentiels du Taijiquan style Chen et gongfu jia

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Notes de l’article Taijiquan  style Chen Essence de la Pratique et Gongfu Jia (1)

  1. L’empire chinois a depuis longtemps été confronté à la contradiction due, d’une part, au recours très ancien à la conscription – impliquant d’avoir une partie du peuple paysan formée au maniement des armes – et, d’autre part, aux craintes de rébellions populaires armées et donc à la nécessité de prohiber les armes en dehors de l’armée. Ce phénomène historique sera encore renforcé sous la dynastie Mandchou de Qing (1644-1911) puisque, créé par des étrangers ayant pris le contrôle de l’empire, ses empereurs redouteront plus encore que leurs homologues chinois, les soulèvements populaires. A cette première contradiction s’ajoutent la quasi-impossibilité de maintenir la présence de « l’état » dans un empire aussi vaste que celui de la Chine (surtout depuis les conquêtes des Qing) et le recours habituel à la « délégation de service public » auprès de communautés privées pour le maintien de l’ordre et la fiscalité.
  2. La légende prétendant que Chen Fake n’aurait pas eu le temps de le faire suite à la mort de son fils aîné Chen Zhaoxu, à qui l’enseignement aurait d’abord été destiné, ne tient pas. L’apprentissage d’une forme d’arme – d’autant plus par un pratiquant maîtrisant déjà la gongfu jia – ne nécessite en effet que quelques jours.
  3. Il existe bien des routines codifiées à deux des armes du Taijiquan, par exemple à l’épée, mais elles sont purement chorégraphiques

A propos Tai Chi Lyon

Disciple officiel de la lignée du Tai Chi Chuan originel de Chenjiagou (lieu de création du Tai Chi) sous le nom Pengju 鹏举, j'ai passé plusieurs années en Chine à me former et pratiquer avec Maître Zheng Xu Dong et pratique ces dernières années la Xiaojia avec des maîtres de Chenjiagou (disciples directs du célèbre Chen Kezhong).