Chenjiagou Tai-Chi Dicton (2) Des Règles sans Règles

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Le dicton de Tai-Chi de Chenjiagou que nous abordons dans ce bref article est peu connu en dehors de Chenjiagou et des pratiquants de la forme originelle, et peut, de prime abord, paraître particulièrement paradoxal et ésotérique.

Comme nous allons le voir, il découle en réalité du principe décrit par un autre dicton de Tai-Chi de Chenjiagou que nous avions expliqué plus en détails dans un précédent article Dicton Chenjiagou (1) Les Trois Segments. Chemin faisant, nous aborderons notamment aussi la question des stades de la pratique et celle du rapport entre force et intention, décrit par la maxime bien connue préconisant « d’utiliser l’intention, pas la force ».

Notre énigmatique dicton de Tai-Chi de Chenjiagou d’aujourd’hui énonce de manière paradoxale :

有规矩而无规矩
无规矩而有规矩

yǒu guī jǔ ér wú guī jǔ
wú guī jǔ ér yǒu guī jǔ

que l’on peut – sans le génie de la langue chinoise pour les proverbes – traduire littéralement par :

Il y a des règles, mais il n’y a pas de règles

Il n’y a pas de règles, mais il y a des règles

Comme nous l’avions déjà souligné, aligner sans les comprendre des dictons du Tai-Chi comme on le voit parfois sur Internet – où, dans tous les domaines, le meilleur côtoie souvent le pire – n’est pas seulement un vernis superficiel et trompeur mais peut de surcroît conduire les lecteurs à commettre des contresens sur la signification réelle de ces dictons.

Notre dicton d’aujourd’hui en est un bon exemple. Sans autre explication, il est condamné à rester mystérieux ou à conduire à des interprétations personnelles fantaisistes.

Absurde en apparence, tout commence à s’éclaircir lorsque l’on sait que les deux parties du dicton portent sur deux niveaux de pratique différents : la première s’applique aux  débutants, la seconde aux  pratiquants les plus avancés. Examinons donc ce qu’il signifie pour chaque niveau.

Sommaire Chenjiagou Tai-Chi Dicton

Chenjiagou Tai-Chi Dicton – Pour les Débutants

 » Il y a des règles, mais il n’y a pas de règles  »

有规矩而无规矩
yǒu guī jǔ ér wú guī jǔ

Malgré son aspect a priori contre-intuitif, la signification de la première partie du dicton de Chenjiagou est en réalité très simple : il indique que, malgré les règles à suivre lors de la pratique du Tai-Chi qui sont données aux pratiquants, ces derniers n’arrivent pas à les respecter.

En d’autres termes, il y a des règles (qui sont données), mais il n’y a pas de règles (car elles ne sont pas respectées).

Notons sans pouvoir nous y attarder qu’il existe, dans la Méthode des Trois Cercles, deux types de règles de pratique du Tai-Chi différentes et complémentaires : les règles posturales – comme par exemple celles illustrées ci-dessous dans un dessin d’un élève à la suite d’un stage il y a bien longtemps – et les règles de changement.

Les unes comme les autres sont essentielles. Les premières, les règles posturales, souvent considérées comme moins nobles et rébarbatives sont pourtant fondamentales et sont la condition sine qua non à une pratique correcte. Sans elles, tout le reste n’est que littérature.

Chenjiagou-Tai-Chi-Style-Chen-Structure-Corporelle-Fredo

De manière plus systématique que ce dessin, les règles posturales fondamentales sont celles de la Posture Préparatoire auxquelles seront ensuite adjointes, lors de l’enchaînement proprement dit, les règles de positionnement des mains. Comme nous l’avions indiqué dans l’article dédié Tai-Chi, Essence de la Pratique, il faut ainsi s’assurer de respecter les règles de la posture préparatoire lors de chaque changement de hanches et de poids.

Chenjiagou-Tai-Chi-Posture-Preparatoire-Style-Chen

Notons au passage que ce qui est indiqué dans le dessin par « Epaules tombantes », c.à.d. le relâchement des épaules, n’est en réalité pas une règle mais une conséquence du respect des règles d’une posture correcte (i.e. positionnement des pieds, du bassin, des mains, des coudes, de la tête, alignement des épaules et des hanches,..).

Comme nous l’avions précisé dans le précédent article Dicton du Tai-Chi de Chenjiagou (1), l’une des erreurs les plus classiques lorsqu’il s’agit des dictons du Tai-Chi de Chenjiagou est celle qui consiste à confondre les moyens et les objectifs, c.à.d. à prendre à la lettre la description d’un résultat pour une façon de pratiquer.

Les paroles se transmettant plus facilement que l’acquisition réelle du savoir-faire, c’est d’ailleurs ainsi, par téléphone sino-arabe, que la transmission sans explication des dictons ou des instructions de pratique a pu conduire certaines branches du Tai-Chi à commettre des contresens aboutissant à des aberrations pratiques.

telephone-arabe-chinois-chenjiagouCes problèmes d’interprétation et de compréhension ont en outre parfois été rendus encore plus criants lorsque le Tai-Chi a commencé à être enseigné en dehors du village de Chenjiagou et de sa proximité immédiate. En effet, à l’instar de l’Allemagne, la Chine est un pays aux multiples dialectes où l’unification linguistique n’a été réalisée que très récemment et est encore imparfaite.

A une époque où l’écrit n’était encore l’apanage que d’une petite minorité, la transmission orale entre des locuteurs de dialectes différents conduisait facilement à des erreurs de compréhension. L’on pouvait alors aisément prendre un mot pour un autre et en arriver à changer le sens même de la phrase.

Sommaire Chenjiagou Tai-Chi Dicton

Les anciens de Chenjiagou racontent encore aujourd’hui en souriant comment Yang Lu Chan, le créateur du style Yang – enfant esclave domestique qui espionna l’enseignement du clan Chen au milieu du 19ème siècle – a parfois totalement mésinterprété ce qu’il entendait en dialecte local (il n’est jamais « venu se former » à  Chenjiagou auprès de Chen Changxing comme on peut le lire, par romantisme anachronique total, sur Wikipedia).

Ainsi, lorsqu’il créera son propre style en empruntant une grande partie des noms des mouvements du style Chen qu’il avait entendus lorsqu’il servait à Chenjiagou, il interpréta le mouvement de l’enchaînement appelé « rouler les bras en avant » en « repousser le singe » . La prononciation du nom du mouvement 倒卷肱 « rouler les bras en avant » dao juan gong en dialecte local de Chenjiagou étant phonétiquement très proche de dao nian hou, Yang Lu Chan a cru qu’il signifiait « repousser le singe » (qui se dit dao nian hou).

Repousser le Singe - Tai-Chi Yang Chengfu
« Repousser le Singe » par Yang Chengfu – Tai-Chi style Yang

repousser-le-singe-yang-tai-chi-planete

Dans ses formes les plus poussées de conservatisme traditionnel de l’enseignement, donner en pâture un dicton ou une instruction sans explication est même presque devenu une méthode en soi. En feignant de s’attacher au résultat – en focalisant sur le quoi – l’on évite de s’attarder sur la façon de l’atteindre en expliquant le comment.

L’un des exemples les plus flagrants est celui de l’instruction de relâchement qui est commune à quasiment toutes les formes et styles de Tai Chi. Il ne sert en effet à rien de demander aux élèves d’être « relâché », ou de relâcher les épaules et les hanches, si on ne leur explique pas concrètement comment y parvenir.

Les élèves y parviendront d’autant moins si, comme cela arrive souvent, les indications pratiques données par ailleurs par l’enseignant s’opposent au relâchement (i.e. mauvaises postures, changements ou cercles incorrects, directions erronées des mains ou du regard,…).

Sommaire Chenjiagou Tai-Chi Dicton

Chenjiagou Tai-Chi Dicton – Maestria des Maîtres

Pour le second niveau de pratique du Tai-Chi, le dicton énonce de manière en apparence tout aussi saugrenue :

 » Il n’y a pas de règles, mais il y a des règles « 

无规矩而有规矩
wú guī jǔ ér yǒu guī jǔ

Pour comprendre la signification de la seconde partie de ce dicton de Chenjiagou, il faut revenir aux étapes de la pratique du Tai-Chi.

Comme nous l’avions expliqué dans Tai-Chi dans les Parcs et Secret de l’Enseignement, plus l’on avance dans la pratique, plus la taille des cercles diminue. Dans cette progression, l’on passe progressivement d’une pratique carrée et large à une pratique circulaire et de plus en plus petite.

Chenjiagou-Tai-Chi-Methode-Trois-Cercles-5-Etapes-Pratique

Les quatre dernières étapes sont rendues par un autre dicton classique de Chenjiagou que je citais dans cet article :

由大圈练到中圈,由中圈到练小圈,由小圈练到无圈

yóu dà quān liàn dào zhōng quān,
yóu zhōng quān dào liàn xiǎo quān,
yóu xiǎo quān liàn dào wú quān.

Pratiquer de grands cercles jusqu’à des cercles moyens,
Pratiquer des cercles moyens jusqu’à de petits cercles,
De petits cercles pratiquer jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de cercles

Cela signifie que lorsque les cercles internes et externes, par étapes progressives lors la pratique du Tai-Chi, deviennent de plus en plus petits, ils finissent par disparaître totalement. On ne perçoit plus les cercles devenus invisibles à l’œil extérieur, et personne ne peut alors connaître les secrets de la pratique.

Dans les cinq étapes de la Méthode des Trois Cercles, allant de débutant (1) à maestria (5), ce niveau d’invisibilité totale des cercles est atteint à la dernière étape, où les cercles se fondent en un simple point.

En d’autres termes, lorsque l’on possède un niveau supérieur de gongfu – c.à.d. de maîtrise, d’habileté – les cercles deviennent invisibles.

Il n’y a toutefois dans cette invisibilité rien de magique ni de mystérieux. Il faut, pour un débutant, physiquement réaliser de grands cercles de main pour péniblement arriver à mobiliser et faire tourner l’articulation de l’épaule afin de la synchroniser avec celle de la hanche correspondante.

A un stade de pratique plus avancé, il suffit à l’inverse simplement d’utiliser une très légère intention dans la main – par exemple le majeur ou encore l’éminence thénar – dans une direction particulière pour produire un effet encore plus important sur la même épaule et l’articulation de la hanche. C’est à ce niveau de pratique que la seconde partie du dicton de Chenjiagou s’applique.

Chenjiagou-Tai-Chi-Style-Chen-Reduction-Cercles-Etapes

 

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Le dicton de Chenjiagou prend alors tout son sens. Ce dernier stade de la pratique du Tai-Chi atteint, celui de la maestria, il n’y a ainsi pas (en apparence) de règles (externes) mais il y a en réalité bien des règles (invisibles car internalisées).

L’intention (de cercles) s’est substituée à la réalisation physique de grands cercles (force). Plus exactement, comme il n’y a pas de réalisation physique sans intention, et réciproquement, l’intention a pris le pas sur la réalisation physique des cercles.

Notons en passant que cette logique est celle que l’on retrouve dans la loi d’interaction mutuelle telle que décrite par la théorie de la Médecine Traditionnelle Chinoise, ici : la décroissance du yin (force) entraîne la croissance du yang (intention), qui elle-même conduit à renforcer la décroissance du yin (force).

De fait, intention et force utilisée (pour la réalisation physique) connaissent une progression inverse : avec l’affinement de la pratique – la coordination de plus en plus grande des articulations et de toutes les parties du corps entre elles – la réalisation physique des cercles décroît alors que l’importance de l’intention s’accroît. En d’autres termes, le degré d’utilisation de la force est inversement proportionnel au niveau du pratiquant.

Chenjiagou-Tai-Chi-Intention-Force-Yong-Yi-Bu-Yong-Li

 

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Chenjiagou Tai-Chi Dicton – Force et Intention

Ce rapport intime entre intention et force est d’ailleurs l’objet d’une autre expression classique de Chenjiagou, elle bien connue de tous les pratiquants de Tai-Chi (et même d’autres arts internes comme le Yi Quan) qui prescrit :

用意不用力
yòng yì bù yòng lì

« utiliser l’intention, pas la force »

A la lumière de ce que nous venons de voir, l’on comprendra aisément qu’en l’occurrence cette expression est à la fois une recommandation de pratique (un moyen), et un résultat (elle n’est pleinement réalisée que pour des pratiquants plus avancés chez qui l’intention l’emporte sur la force).

Chez les débutants, la prescription s’applique en réalité surtout pour la force et l’intention dans les mains. Il y a à cela une raison précise : si trop de force est utilisée dans les mains chez un débutant, celles-ci vont entraîner les épaules – et de manière générale le haut du torse – trop rapidement par rapport aux hanches, moins mobiles, ce qui conduit à une désynchronisation des épaules et des hanches et donc une torsion de la colonne vertébrale.

Si l’excès de force se fait dans la direction du mouvement, cela va créer un décalage latéral et aboutit à rompre l’alignement entre épaules et hanches.

Chenjiagou-Tai-Chi-Intention-Force-Exces-Mains-1

Lors de la montée des mains (i.e. la partie ascendante du cercle), l’excès de force des mains va généralement entraîner chez les débutants une montée et un blocage des épaules, et, par contrecoup, une tension dans la colonne et une force de réaction vers le bas, et au final l’impossibilité de garder les hanches relâchées.

C’est alors que le cercle vicieux se met en place : cette torsion entraîne un désalignement et une rigidité de la colonne qui empêche le relâchement des épaules et des hanches. Face à cette tension, le réflexe naturel est d’utiliser plus de force pour réussir à passer le blocage (alors qu’il faut corriger la posture), ce qui aggrave encore le déséquilibre.

Chenjiagou-Tai-Chi-Intention-Force-Exces-Mains-2

 

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En un sens, et c’est toute la difficulté, la prescription « utiliser l’intention, pas la force » est presque une injonction paradoxale pour les débutants pour qui il est quasiment impossible de ne pas utiliser trop de force car il faut d’abord commencer par vaincre les résistances et blocages physiques dus au manque de coordination et aux erreurs posturales.

C’est la raison pour laquelle, afin d’être capable de ressentir les blocages et de corriger préventivement les erreurs structurelles, il est important pour les débutants, d’une part, comme nous l’avons détaillé dans Quelle vitesse de pratique du Tai-Chi ?, de pratiquer lentement, et, d’autre part, pour ce qui concerne plus spécifiquement la force dans les mains, de respecter les règles de positionnement et de tenue de la main et des doigts.

A l’inverse, en appliquant de manière trop littérale la prescription de ne pas utiliser de force, on aboutit au défaut inverse qui est celui de la mollesse, syndrome appelé à Chenjiagou les « mains perdues » 手丢 shou diu. Cela aboutit à ce que les épaules n’aient pas de direction précise et qu’elles soient cette fois, soit « à la traîne » c.à.d. en retard sur les hanches, soit non alignées avec elles par manque de direction, souvent les deux.

Chenjiagou-Tai-Chi-Intention-Force-Mains-Perdues-1

 

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Il s’agit de trouver le juste milieu entre l’excès de force – entraînant la désynchronisation du torse et la rigidité – et le manque de force, c.à.d. la flaccidité, la mollesse, qui entraîne un désalignement hanches-épaules dans l’autre sens.

Cette proportion adéquate de force à utiliser pour les mains est celle qui est décrite à Chenjiagou en prescrivant qu’elles ne soient « pas perdues, pas rigides » et par la règle « elle doit être (vers le haut) juste suffisante pour que les mains montent, et (vers le bas) pour les empêcher de tomber ». En d’autres termes, il faut utiliser le moins de force possible.

Il faut être particulièrement vigilant à ne pas « perdre les mains » sur tous les mouvements où celles-ci descendent, lors desquels le risque de les « laisser tomber » est important. Lorsque cela se produit, souvent par manque d’attention, la descente d’une ou des mains n’est alors que l’effet de l’attraction et non pas le résultat d’un travail conscient. La main ne descend pas, elle tombe. Ce faisant, cela produit non seulement une discontinuité dans le cercle, mais on ne maîtrise plus sa direction et cela impacte l’ensemble de la structure corporelle.

tai-chi-avachi-affaisser-homer-simpsonLorsqu’il s’agit d’un mouvement où les deux mains descendent ensemble, et si une attention particulière n’est pas portée au maintien droit de la colonne – selon le principe de la Posture Préparatoire appelé « force suspendue » 虚领顶劲 xu ling ding jin sur lequel nous aurons l’occasion de revenir plus en détail – l’effet est alors un affaissement du corps, un avachissement, et à nouveau une perte de la structure corporelle.

Notons également que pour les styles autres que la forme originelle, dans lesquels des cercles horizontaux sont utilisés, la question se pose en d’autres termes et la règle ne peut donc pas pleinement s’appliquer.

Au fur et à mesure de la progression dans la pratique du Tai-Chi, la volonté consciente, nécessaire à la précision posturale et à la réalisation des mouvements, devient de plus en plus légère. Lors de la première phase, celle de la concentration, un débutant utilisera presque toujours une volonté « excessive » pour réaliser un mouvement.

Grâce à la fois, d’une part, à l’entraînement et à la répétition, et, d’autre part, au relâchement apporté par la justesse des positions et des changements, on atteint progressivement le second stade où la concentration peut s’alléger pour devenir intention.

Enfin, au stade ultime de la maestria, où pratique et intention, totalement internalisées, sont devenues naturelles et ne font plus qu’un, l’intention s’efface au profit d’une simple attention. Cette attention légère, quasi inactive, se résume en une forme de présence.

Dans les Trois Coordinations Internes (nei san he 内三合), cette dernière étape correspond, au moment où la première d’entre elles – la coordination intention-cœur (心与意合 xin yu yi he) – l’intention 意 yi et le « cœur » 心 xin sont parfaitement liés et ne font plus qu’un.

Tai-Chi-Intention-Concentration-Attention-Force-Yong-Yi-Bu-Yong-Li

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A ce niveau de maîtrise du Tai-Chi, ce n’est pas qu’il n’y a plus de règles – c’est au contraire là où les lois de la biomécanique humaine sont les mieux respectées et s’appliquent le plus parfaitement – mais elles sont devenues « naturelles ». C’est ce qu’on appelle en chinois « avoir du gong » ou gongfu (i.e. kungfu).

Pour la pratique du Tai-Chi, le mouvement généré se situe à mi-chemin entre le mouvement réflexe hors de portée de la conscience, et le mouvement volontaire. Sous l’effet de l’entraînement, les règles ont été parfaitement corporellement intégrées et sont devenues une seconde nature.

Perspective-Tai-Chi-vredeman-de-vriesBien que l’analogie soit imparfaite, on peut néanmoins saisir le principe de cette lente intégration physique et mentale profonde en pensant par exemple à l’apprentissage du dessin en perspective. Un élève débutant dans l’apprentissage du dessin devra d’abord construire sa ligne d’horizon, ses points de fuite et sa grille de perspective alors qu’un dessinateur averti dessinera « spontanément » en respectant les règles de la perspective sans avoir à physiquement tracer ses repères.

Ce n’est pas qu’il n’a pas respecté les règles, mais il les a tellement travaillées, répétées, qu’il les a mentalement cartographiées et intégrées et n’a plus besoin de les tracer préalablement. Cette loi de « naturalisation » par l’intégration corporelle ou mentale profonde s’applique dans presque tous les domaines de l’apprentissage.

Les règles de la perspective sont bien toujours respectées mais elles sont invisibles et incompréhensibles pour celui qui, soit ne les connaît pas, soit n’a pas encore le niveau nécessaire pour les reconnaître.

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Pratique naturelle du Tai-Chi vs. règles de Chenjiagou

Perspective-Tai-Chi-port-soleil-couchantEn Tai-Chi comme en dessin, un observateur néophyte verra bien souvent une différence dans le résultat – celle entre un dessin respectant les lois de la perspective et un autre ne les respectant pas, celle entre un excellent pratiquant et un pratiquant commettant des erreurs biomécaniques – mais, s’il le ressent bien intuitivement, il ne comprendra pas ce qui fait la différence ni les mécanismes en jeu.

Un homme de l’art verra lui tout suite où sont les problèmes et pourra donner une analyse fine et circonstanciée des qualités et défauts du dessin ou de la pratique du Tai-Chi.

L’on entend parfois dire que la pratique doit être « naturelle » – c’est même le nom d’une forme de kung-fu appelée « boxe naturelle » ziran quan 自然拳 ou ziran men 自然门 , popularisée par Wang Laishen – et certains en tirent à tort la conclusion qu’il n’y a pas de réel apprentissage du Tai-Chi et qu’il faut pratiquer « naturellement ». Rien n’est plus faux, et c’est au contraire seulement au long d’un difficile apprentissage, culturel, que la pratique devient « naturelle ».

Certains maîtres de Tai-Chi, lorsqu’ils sont confrontés à des questions trop précises auxquelles ils ne veulent pas répondre, utilisent la même rhétorique en affirmant qu’il ne faut pas trop chercher à comprendre et que la pratique doit simplement être « naturelle ». Ce faisant, aidés depuis une vingtaine d’années par le renouveau du nationalisme chinois, ils reprennent l’argumentation de l’époque Républicaine dénigrant une approche occidentale réputée trop mécaniste (i.e. de voir l’homme comme un robot, littéralement…. »homme-machine » en chinois).

proprioception-energie-homme-machine-robot-C’est d’ailleurs à cette époque, pour différencier les sports occidentaux des activités corporelles chinoises, que l’accent va commencer à être mis – dans la nouvelle élite intellectuelle  bourgeoise des grandes villes de la côte Est qui s’entiche alors de la pratique du Tai-Chi – sur l’importance du Qi « énergie » comme différenciateur majeur entre les deux cultures.

On entend parfois même que « pratiquer naturellement » serait plus proche du Taoïsme et du « non-agir »,  无为 wú wéi, donc ontologique supérieur…

Pour reprendre notre métaphore, affirmer que la pratique du Tai-Chi doit être naturelle reviendrait, pour la pratique de la peinture, à ce que l’enseignant se borne à affirmer à ses élèves que, pour bien réussir une perspective, il faut simplement dessiner et peindre naturellement…

Ce dont il s’agit n’est pas de pratiquer « naturellement » – ce qui n’a d’ailleurs aucun sens pour une pratique qui n’est en rien innée et ne relève en rien de mouvements réflexes – mais de tenter, par la pratique, de se conformer au mieux aux règles naturelles qui sont celles de la biomécanique humaine. Là encore, il ne faut pas confondre moyen et résultat : le moyen culturel est l’entraînement, et le résultat est la pratique devenue naturelle.

Grâce à l’IRM fonctionnelle, les progrès réalisés par les neurosciences montrent aujourd’hui clairement comment la plasticité cérébrale permet, grâce à un entraînement adapté, de recomposer et « d’amplifier » les zones du cortex moteur et sensoriel mises en jeu lors de la pratique. C’est cette recomposition de la carte motrice cérébrale qui permet le développement du sens proprioceptif et l’affinement du contrôle musculaire et articulaire.

proprioception-tai-chi-homonculus-sensoriel-et-moteur

Notons également que, s’il est bien possible de prendre de bonnes habitudes de pratique, il arrive aussi souvent, du moins pour ceux qui s’entraînent beaucoup et sur une durée suffisamment longue, de prendre et d’internaliser de mauvaises habitudes. Tout comme les bonnes ou mauvaises fréquentations, les bonnes ou mauvaises habitudes de pratique produisent sur le long terme un effet en profondeur. Une fois prises et internalisées, elles seront d’autant plus difficiles à changer que l’entraînement aura été long et intensif. D’où l’importance de prendre le bon pli au plus tôt.

Pour cela, encore faut-il connaître les règles de la pratique et c’est précisément là que le bât blesse. Comment respecter des règles que l’on ne connaît pas ? Comment dessiner en perspective si l’on n’en connaît pas les règles ? En l’absence de règles précises incluses dans un système global cohérent, l’apprentissage se résume alors au final souvent à de l’imitation superficielle de mouvements extérieurs. Quelques conseils et recettes de pratique donnés de manière disparates n’y changent rien car l’important n’est pas seulement d’avoir des règles de pratique mais que ces règles forment ensemble un système cohérent (notamment qu’il n’y ait pas d’incohérence entre elles).

En l’absence de règles issues d’une compréhension systémique, on en arrive en fin de compte, en détournant et prolongeant le dicton de Tai-Chi de Chenjiagou, à ce que :

无规矩就是无规矩

wú guī jǔ jiù shì wú guī jǔ

« Il n’y a pas de règle,  (car) il n’y a précisément pas de règles »

c.à.d. il n’y a pas de règles respectées dans la pratique car l’on ignore l’existence même de ces règles.

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A propos Tai Chi Lyon

Disciple officiel de la lignée du Tai Chi Chuan originel de Chenjiagou (lieu de création du Tai Chi) sous le nom Pengju 鹏举, j'ai passé plusieurs années en Chine à me former et pratiquer avec Maître Zheng Xu Dong et pratique ces dernières années la Xiaojia avec des maîtres de Chenjiagou (disciples directs du célèbre Chen Kezhong).