Tenue de Tai Chi Kimono Pyjama Chinois Mandchou Tangzhuang

La tenue de Tai Chi : un kimono ? un pyjama ?… Chinoise ?

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La tenue de Tai Chi : un kimono ? un pyjama ? Chinoise ?

D’où vient la  tenue de Tai Chi ? – Le Tai Chi est généralement associé à l’image de pratiquants s’adonnant à leur discipline favorite, affublés d’une tenue évoquant pour certains à la fois un kimono léger ou un pyjama uni, caractérisés par une fermeture centrale par des brandebourg.

Nous verrons que non seulement,  traditionnellement, le Tai Chi ne se pratique ni en pyjama ni en kimono mais en tenue de ville habituelle (ou plutôt, en l’occurence, de campagne) mais que, de surcroît, cette tenue de Tai Chi est d’autant moins « traditionnelle » qu’elle n’est originellement pas chinoise.

Naissance de la tenue de Tai Chi

L’usage du port d’une tenue de Tai Chi particulière lors de la pratique est de fait une création moderne apparue tardivement avec les premières écoles de Tai Chi ouvertes à tous (notamment aux femmes) lors de la période républicaine sous l’influence de la fameuse école Jingwu (« L’Association Sportive de l’Essence des Arts Martiaux »  jingwu tiyu hui 精武体育会).

Il s’agit du moment historique très spécifique de standardisation et de développement du Wushu et des arts martiaux « bourgeois »  dans les grandes villes chinoises à partir des années 1910.

Tai Chi pas de pyjama ni kimono - Taichi Lyon
Manuel de l’école Jingwu

En plus de la volonté d’unification, il s’agissait pour les fondateurs du mouvement de donner une identité clairement distincte et identifiable aux arts martiaux chinois. Le choix d’un uniforme pour la pratique du Tai Chi est ainsi directement lié à la fois à la mouvance nationaliste et au développement du sport en Chine au début du 20ème siècle.

Les milieux nationalistes s’attachaient alors, en effet, à trouver des sports proprement chinois qui puissent faire pendant aux sports occidentaux récemment introduits dans le pays.

Ce besoin d’affirmation identitaire passait aussi par une identité visuelle facilement identifiable comme chinoise. Voir sur cette période les articles consacrés au Tai-Chi Yang et à Yang Luchan

C’est cette tenue, désormais associée aux arts martiaux chinois (wushu), qui sera également plus tard retenue pour la présentation du Wushu lors de la démonstration aux Jeux Olympiques de 1936 de Berlin. 

Il est important de noter que, dès l’époque, le Tai Chi qu’enseignent alors ces écoles n’a toutefois déjà plus que des rapports assez lointains avec le Tai Chi traditionnel de Chenjiagou (lieu de création du Tai Chi). En d’autres termes, c’est avec l’embourgeoisement, la pacification et la simplification du Tai Chi original qu’apparaît aussi l’uniforme auquel il est aujourd’hui associé.

De fait, cette dichotomie se perpétue encore aujourd’hui : alors que le Tai Chi sportif ou gymnique est régulièrement pratiqué en utilisant cette tenue, elle n’est quasiment jamais utilisée par les pratiquants de Tai Chi traditionnel.

Mais le plus paradoxal est sans doute qu’à une période marquée par le nationalisme naissant en Chine, les fondateurs de Jingwu aient décidé d’adopter cette veste-là comme identité vestimentaire. 

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Les ancêtres mandchous de la tenue de Tai Chi

Tout comme le port de la natte a lui aussi fini par devenir, à son corps défendant, un symbole de la Chine ancienne dans les représentations mentales courantes, la tenue  de Tai Chi, désormais appelée en Chine tangzhuang 唐装 « veste des Tang » – c.à.d. veste de la dynastie Tang (618-907) – est souvent considérée à tort comme « typiquement chinoise ». Or, loin d’être un costume traditionnel chinois, elle est en réalité un vêtement d’origine mandchoue.

Cette veste, le précurseur de la tenue de Tai Chi d’aujourd’hui, s’appelait alors magua 马褂 , dont la traduction littérale est « veste de cavalier ». Monter ou non à cheval étant, dans la Chine ancienne, un marqueur ethnique, le nom même de la veste indique on ne peut plus clairement qu’elle fut d’abord portée par les cavaliers mandchous.

Elle était à l’origine une simple veste sans manche (puis à manches courtes), destinée à être enfilée par- dessus les longues robes « mandarinales » (changshan 長衫) des Mandchous.

Tenue Tai Chi - Homme chinois portant la natte mandchoue
Homme chinois à natte mandchoue

A leur arrivée au pouvoir, les Mandchous – ethnie d’éleveurs et de cavaliers nomades du nord-est de la Chine et fondateurs de la dernière dynastie chinoise des Qing (1644-1911) – voulurent dans un premier temps imposer la natte et les costumes mandchous à tous les habitants de l’empire qu’ils venaient de conquérir.

Ils promulguèrent dès 1645 « l’Edit Natte et Costume » qui en prescrivait le port et condamnait  à mort par décapitation ceux qui s’y refusaient. 

Devant la résistance de la population et la difficulté à le faire appliquer, s’ils restèrent fermes sur l’obligation de porter la natte et de se raser la partie antérieure de la tête, les Mandchous finirent par céder rapidement sur le costume. 

A total contre-pied du premier édit impérial, ils réservèrent ensuite l’usage des tenues mandchoues à l’élite et la cour de leur propre ethnie, et en interdirent  le port par la population chinoise. La « tenue de Tai Chi » ou « veste Tang » devint ainsi à la fois un marqueur ethnique (mandchou vs. han) et un symbole de classe (dominants vs. dominés).

L’empereur Kangxi (1654-1722), parce qu’il avait un besoin impérieux des mandarins et du réseau de fonctionnaires chinois pour gérer son immense empire, adopta une autre méthode : les tenues mandchoues seraient dorénavant accordées comme une récompense et une marque de distinction aux mandarins chinois les plus méritants. La « veste Tang » perdit alors progressivement son aspect ethnique et ne devint plus qu’un signe d’appartenance à l’élite.

Tenue Tai Chi brandebourg - Pyjama Kimono
Gouverneur militaire en 1874

Tout comme pour la coutume du bandage des pieds  – terrible pratique qu’il serait en l’occurence justifié d’appeler « pieds Tang » puisqu’elle est elle bel et bien attribuable à la dynastie Tang – où les femmes du peuple se mirent au fil des siècles à imiter l’aristocratie chinoise, avec le temps, la population se mit aussi à imiter les modes vestimentaires des puissants et des Mandchous. 

Oubliant  l’origine de la veste et la rébellion de leurs aïeux quand on avait voulu la leur imposer, le petit peuple adopta progressivement celle-ci.

La diffusion de la veste dans la population s’accéléra à un tel point lors de la seconde moitié du 19ème siècle que lors de l’insurrection des Boxeurs, ces derniers, voulant pourtant bouter les étrangers hors du pays, en arrivèrent parfois eux-même à porter la « veste Tang »… mandchoue (pas encore alors devenue une tenue de Tai Chi).

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La tenue de Tai Chi des mandarins militaires mandchous

La fermeture centrale par des brandebourgs, caractéristique de la « veste Tang », semble être longtemps restée un trait propre à la tenue des officiers militaires. Elle sera d’abord réservée aux Mandchous, avant d’être tardivement généralisée à de nombreux officiers militaires à la fin du 19ème siècle.

Tenue Tai Chi magua mandchoue
Officiers militaires (1736)

L’iconographie de la célèbre « Description de l’Empire de Chine » (basée sur les écrits des jésuites basés en Chine) par J.B. Du Halde nous apprend ainsi qu’au début du 18ème siècle, la fermeture centrale par des brandebourg reste encore alors l’apanage des officiers militaires mandchous (qu’il appelle joliment « Mandarins de Guerre tartare »).

Les conquérants mandchous avaient  mis en place une politique d’apartheid ethnique qui incluait notamment le fait d’avoir deux armées bien distinctes : celle des Mandchous, les Bannières, stationnée  à la capitale et aux points stratégiques de l’empire, et une autre, l’Armée Verte, constituée de garnisons locales composées exclusivement de Chinois et ayant de fait plutôt un rôle de forces de police pouvant être amenée à seconder les mandarins civils locaux.

La représentation de Du Halde des deux types de « Mandarins de Guerre » nous montre bien que l’officier militaire chinois, contrairement à son homologue mandchou, ne porte pas la veste à brandebourgs mais un uniforme différent. Le Mandchou est, en outre, le seul armé d’un arc et de flèches.

Tenue de Tai Chi - Magua Li Hong Zhang
Li Hong Zhang

Notons au passage au sujet de cette ségrégation ethnique que les Mandchous, s’ils ne réussirent pas à éradiquer la coutume des pieds bandés chez les femmes chinoises comme ils voulurent d’abord le faire, s’assurèrent néanmoins toujours avec succès que les femmes mandchoues n’y soient pas soumises ni se laissent aller à l’adopter.

Ce n’est qu’au 19ème siècle que le port de la veste militaire à  brandebourgs paraît se généraliser, sans doute d’abord chez les officiers de l’armée chinoise (et plus seulement mandchoue), puis chez les sous-officiers, avant d’être adoptée par la populations civile.

Qu’il s’agisse de la tendance habituelle du peuple à imiter les comportements, idées et tenues de l’élite, ou simplement du côté purement pratique de la fermeture, la demande semble être venue du bas de l’échelle sociale.

Des siècles plus tôt, sous les Han au 3ème siècle de notre ère, il avait à l’inverse fallu que l’empereur impose aux aristocrates chinois de porter des pantalons1, là encore empruntés aux barbares nomades qu’ils affrontaient, et d’abandonner la robe qu’ils voyaient comme le symbole de leur statut.

Comme ce fut le cas quelques siècles plus tôt lorsque Cyrus le Grand imposa aux aristocrates perses de faire de même, il s’agissait alors de lutter à égalité avec les nomades en troquant l’inconfortable robe pour une tenue plus adaptée pour des cavaliers, le pantalon et la chemise.

Les recherches archéologiques récentes montrent d’ailleurs que ces fut déjà les populations de pasteurs nomades des steppes, les premiers cavaliers, qui inventèrent le pantalon et l’introduisirent à l’Est, dans le bassin du Tarim (actuel Xinjiang) où l’on a découvert le plus ancien pantalon jamais retrouvé (datant d’environ  600 av. J.-C). Il fallut donc près d’un millénaire avant que la Chine n’adopte une tenue considérée comme typiquement barbare.

A moins qu’il ne s’agisse d’une déformation due aux sources qui se multiplient avec l’arrivée de la photographie, il semble bien, a priori, que dès les années 1860, la veste mandchoue à brandebourg soit déjà devenue une tenue commune partagée à la fois par des dignitaires et l’homme de la rue.

Tenue de Tai Chi - Joueur de rue - Thomson
Joueurs de rue (1868)

Les photographies prises à cette période, notamment celles de l’explorateur et photographe écossais John Thomson, montrent en effet qu’aussi bien Li Hong Zhang, l’un des hommes les plus puissant du pays, que le plus humble des parieurs ambulants de Canton l’avaient déjà adoptée.

Une autre photo célèbre de Thomson, prise en 1865 dans l’arsenal de Tianjin construit par les ingénieurs occidentaux, montre que la tenue à brandebourgs – même dans l’armée où l’uniforme et les insignes ont une signification toute particulière et sont strictement réglementés – n’est déjà plus exclusivement réservée aux officiers.

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Les hussards en tenue de Tai Chi ?

Le point mériterait d’être étudié plus en détails que ce que nous ne ferons ici mais il apparaît que le port d’une veste à ouverture centrale droite (contrairement aux habituels caftans mongols croisés et fermés sur le côté), caractérisée par une fermeture à brandebourgs, a été pendant de nombreux siècles un trait commun de la tenue des cavaliers nomades des steppes eurasiatiques.

Avec un ensemble d’autres caractéristiques au coeur de l’unité culturelle des nomades eurasiatiques –  comme les équipements et tactiques de guerre à cheval (i.e. arc composite à double courbure et fuite simulée) – on retrouve en effet cette veste d’un bout à l’autre des steppes.  Parmi les  influences culturelles réciproques (souvent superficielles) entre le monde des pasteurs nomades et celui des agriculteurs, certains costumes nomades vont être adoptés par leurs puissants voisins sédentaires

Tenue de Tai Chi - Premiers brandebourgs en chine - Dynastie Jin
Brandebourgs en Chine (12ème s.)

En Chine, on trouve les toutes premières traces de brandebourgs lors de la dynastie des Jin (1115-1234). Heureuse facétie des découvertes archéologiques,  cette première représentation a été excavée dans le comté de Jiaozuo, dans la province du Henan, qui se trouve être situé à seulement une trentaine de kilomètres de… Chenjiagou, le lieu de création du Tai Chi Chuan.

Or les Jin furent une dynastie étrangère fondée par les Jürchen, une population venant également de la future Mandchourie et considérée comme les ancêtres des Mandchous qui envahiront la Chine quelques deux siècles plus tard. Remarquons au passage que, quand bien même nous ne connaîtrions pas leurs origines mandchoues, ce type de fermetures ne pourrait pas, en l’état actuel des découvertes archéologiques, être attribué à la dynastie Tang puisque les premières traces en Chine lui sont postérieures de plusieurs siècles.

A l’Ouest, les origines les plus anciennes des brandebourgs  pointent dès le 8ème siècle vers la région du Caucase où de nombreuses peuplades l’utiliseront tout au long de l’histoire (notamment les Alains qui envahiront l’Europe, ou encore les Khazars). L’une des toutes premières traces archéologiques, admirablement conservée, est celle du site de Moshchevaya Balka au Nord Caucase.

Tenue de Tai Chi - Hussard hongrois du 16ème siècle
Hussard hongrois (16ème s.)

Sous l’influence des Turcs Kazhars, le système de fermeture à  brandebourgs sera aussi adopté par les populations russes, slaves et bulgares. La diffusion plus large des brandebourgs se fera à la fois par l’Empire Byzantin et, avec les invasions turques, par l’Empire Ottoman.

Les brandebourgs vont ainsi se retrouver plus tard dans l’uniforme des célèbres hussards hongrois, corps de cavalerie légère connus sous ce nom depuis le début du 15ème siècle mais dont on connait l’existence dans les armées byzantines dès le 11ème siècle.

Comme souvent dans l’histoire des conquêtes des peuples nomades des steppes, un jeu de domino aurait poussé ces hussards serbes, populations slaves du sud des Balkans, vers la Hongrie lors des invasions ottomanes au 14ème siècle.

Bien que les origines exactes du peuple serbe ne soient pas totalement élucidées, il est admis qu’ils viendraient originellement du Nord Caucase, c’est à dire de la région où apparaissent pour la première fois en Occident les tenues avec fermeture centrale par brandebourgs.

Notons aussi brièvement que, s’ils partageaient avec les assaillants turcs la prédilection pour la cavalerie légère, les cavaliers slaves semblent néanmoins en avoir différé par l’utilisation de la lance au lieu de l’arc. Sur la divergence historique entre peuples occidentaux et orientaux quant à l’archerie, voir Histoire du Wushu et du Kungfu (Part. 2)

Avec le temps, les brandebourgs vont perdre leur fonction première de fermeture pour se complexifier, se styliser et devenir, avant tout, des symboles, militaires ou de noblesse. Dès le 17ème siècle, ils sont une marque de distinction aristocratique en Hongrie et en Pologne et commencent à se retrouver sur les tenues féminines.

Ils sont également une décoration recherchée dans l’Empire Ottoman que l’on retrouve parfois même de façon stylisée avec des brandebourgs métalliques sur des armures comme avec cette très belle cotte de mailles saisie lors de la victoire des armées occidentales à la bataille de Vienne en 1683.

Tenue de Tai Chi - Brandebourg Cote de maille ottomane 1683
Cotte de maille (1683)

L’uniforme des hussards hongrois sera repris et popularisé par les hussards des armées napoléoniennes et la veste à passements centraux par des brandebourgs plus ou moins sophistiqués (le dolman) va devenir le symbole des corps de cavalerie d’élite de tous les pays européens. Avec la modernisation à l’ère Meiji et l’aide de l’Allemagne, les hussards et leur uniformes finiront même par se retrouver au Japon.

Alors que l’uniforme du hussard gardera souvent son aspect militaire et ses liens avec la cavalerie,  au cours du 19ème siècle, la veste de cavalier à fermeture centrale par brandebourgs va perdre en Chine son aspect guerrier et se diffuser plus largement dans la population civile, d’abord dans l’élite puis dans le  peuple.

Ainsi, l’uniforme des hussards hongrois et napoléoniens partagerait, via les steppes, une origine commune avec la « veste Tang » (i.e. tenue de Tai Chi) portée à 8000 kilomètres de là, à l’extrémité Est des steppes, par les cavaliers mandchous et  finalement par une partie importante de la population chinoise de la fin du 19ème siècle.

Tenue de Tai Chi - Hussard Japonais
« Hussard » Japonais

La tenue de Tai Chi, dont nous avons vu qu’elle n’est pas chinoise mais mandchoue, devrait donc en toute logique, plutôt que « veste Tang », s’appeler en Chine « veste nomade ».

Si la quasi totalité des Chinois ont oublié l’origine de la tenue de Tai Chi et de la « veste Tang », une minorité de nationalistes y voit au contraire une infamie et militent depuis le début des années 2000 pour le choix de « tenues nationales » (hanfu 汉服) proprement chinoises. Ils prônent un retour à la mode de la dynastie Han (206 av. J.-C. à 220 apr. J.-C.) considérée comme l’essence vestimentaire de la race et de la civilisation chinoises. 

En suivant la même logique, pour s’approcher un peu de leurs origines historiques, les brandebourgs n’étant à l’origine pas de la ville Brandebourg (d’où ils tirent pourtant leur nom) ni même Allemands, devraient en France être plutôt dénommés « fermetures caucasienne », « fermeture nomade », ou peut-être mieux encore « fermeture mongole ».

Signalons enfin, en guise de clin d’oeil, que le pyjama auquel certains associent parfois le tenue de Tai Chi est d’origine indienne (littéralement « vêtement de jambes ») et que le Kimono japonais est en réalité lui, à l’origine, une tenue chinoise datant de la dynastie Han. 

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Les acolytes mandchous de la tenue de Tai Chi

Nous avons vu que la tenue de Tai Chi, adoptée comme symbole identitaire pour les arts martiaux chinois, est à l’origine une tenue militaire des conquérants mandchous.

Tenue Tai Chi - Qipao Shanghai années 1930 旗袍
Qipao des années 1930 à Shanghai

Mais l’ironie de l’histoire va plus loin. En effet, les deux autres vêtements chinois parmi les plus connus et généralement considérés comme des tenues traditionnelles chinoises  :

  • la longue robe masculine associée aux mandarins et aux lettrés – celle que l’on voit notamment dans de nombreux films d’arts martiaux et que porte Ip Man, le maître de Bruce Lee, dans la série qui lui est consacrée, 
  • la « robe chinoise »  qipao ajustée, plus ou moins échancrée, portée par les femmes, sont en fait à l’origine également des tenues typiquement mandchoues.

Lorsque ces « robes » furent introduites en Chine au 17ème siècle par les conquérants, elles n’étaient portées que par les membres de l’ethnie mandchoue et étaient désignées – celles des hommes comme celle des femmes, les deux étant peu ou pas différentes – par un seul terme qipao 旗袍 qui signifie littéralement la « robe des Bannières » c.à.d. la robe mandchoue.

L’alliance qui prit le pouvoir en Chine en 1644 avait organisé (au niveau militaire et social)  la kyrielle de clans mandchous en huit grandes tribus  appelées « Bannières » et le peuple mandchou fut donc appelé en Chine « Hommes des Bannières » (qiren 旗人).

Tenue de Tai Chi - Ip Man Bruce Lee Changshan Avec le temps et la diffusion de la mode mandchoue d’abord dans l’élite puis dans le peuple chinois, un terme spécifique fut utilisé pour les robes masculines, celui de veste longue (changshan 長衫) pour dénommer la « robe des lettrés chinois »,  alors que le terme de qipao n’en vint plus qu’à désigner la robe des femmes.

Des siècles plus tôt, à l’autre bout des steppes, l’Empire Byzantin avait déjà en son temps adopté la veste longue (caftan) des cavaliers perses sassanides héritée des nomades des steppes (de conception proche de celle des Mandchous). Byzance en fera  même l’une des ses tenues aristocratiques les plus prisées, le skaramangion.

Le début du 20ème siècle fut en Chine un tournant dans la fixation des codes vestimentaires « traditionnels chinois » tels que nous les connaissons aujourd’hui. A l’époque où, retenant d’abord ses origines martiales (celle de cavaliers mandchous puis des officiers militaires), les associations d’arts martiaux standardisaient le port de la veste Tang auprès des pratiquants, l’élite urbaine de Shanghai allait en effet elle, presque au même moment, lancer la mode durable de la robe qipao.

Cette mode fut telle qu’en 1919, lors de la publication de son Code Vestimentaire National, le gouvernement fit de la qipao la tenue nationale des femmes chinoises.

Tenue de Tai Chi - Qipao Song Qing Ling
Song Qing Ling

La femme du président Sun Yat-Sen, Song Qing Ling, Présidente Honoraire de la République de Chine, semble avoir joué un rôle important dans la popularisation de la qiapo dans les années 1920.  L’ennemi principal n’étant désormais plus les Mandchous (l’empire Qing s’étant éteint en 1911), il s’agissait pour les nationalistes du Guomingtang de lutter contre une nouvelle menace : l’occidentalisation des élites urbaines des grandes villes côtières chinoises.

En plus de l’engouement pour le sport et les langues étrangères, celles-ci avaient de surcroît adopté la mode vestimentaire occidentale. Afin de les en dissuader, elle s’attacha à donner elle-même l’exemple en ne portant plus de vêtements occidentaux mais, oubliant l’ennemi d’hier, la qipao mandchoue.

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La tenue de Tai Chi, un vêtement national chinois… mandchou

Plus récemment, lors du sommet de l’APEC à Shanghai en 2001, les autorités chinoises vont retenir le tangzhuang, la Veste Tang, comme vêtement national pour les hommes. Comme la coutume le veut, à l’instar de G. Bush et V. Poutine, tous les chefs d’Etat seront invités à la revêtir.

Il est à vrai dire surprenant que les dirigeants chinois, qui sont habituellement, culture confucéenne oblige, extrêmement pointilleux sur les questions de protocoles et de symboles, aient décidé de choisir la tenue militaire d’un ancien envahisseur comme symbole national.

Etrange cocasserie de l’histoire lorsque l’on sait que le peuple mandchou a lui été totalement dissous dans la masse chinoise en moins d’un siècle et que les derniers locuteurs de langue mandchoue – la langue impériale pendant presque 300 ans – sont en train de disparaître.

Certains pensaient même qu’elle était totalement éteinte jusqu’à la découverte d’une  tribu mandchoue isolée dans la province du Xinjiang (l’ancien Turkestan Oriental dans le Nord-Ouest de la Chine) parlant encore le mandchou. Celle-ci illustre à merveille le principe de la séparation ethnique évoqué ci-dessus (en l’occurrence encore renforcé par la séparation religieuse et la pratique de l’endogamie chez les populations musulmanes).

En plus de deux siècles de vie sur place, les habitants de cette ancienne colonie militaire, un poste avancé mandchou établi là au 18ème siècle juste après la conquête du Xinjiang par l’empereur Qian Long (1711-1799), n’ont en effet jamais pu être intégrés et sont resté séparés des populations Ouïghours musulmanes locales.

Tenue de Tai Chi - Tintin et le Lotus Bleu

Au final, comme pour Hergé dans Tintin et le Lotus Bleu, ce n’est donc ni le pyjama (indien), ni le kimono (japonais) mais la veste Tang (mandchoue) qui restera, au moins pour l’instant, le symbole de la veste traditionnelle chinoise et de la tenue de Tai Chi Chuan et du wushu (arts martiaux chinois).

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La tenue de Tai Chi aujourd’hui

Nous avons signalé au début de cet article qu’on ne  pratique pas le Tai Chi traditionnel avec cette « tenue de Tai Chi ». Mais il nous faut toutefois nuancer un peu et préciser qu’elle est par contre bien utilisée en Chine par les pratiquants de Tai Chi sportif et de compétition, ainsi qu’à l’étranger. 

Il est de fait logique que les pratiquants du Tai Chi universitaire continuent  de porter cette tenue de Tai Chi puisqu’ils sont historiquement les héritiers directs et les continuateurs du Tai Chi bourgeois et sportif de l’Ecole Jingwu qui fut l’initiatrice du port de ladite tenue. 

Enfin, la liturgie  séculière confucéenne ayant pendant des siècles renforcé la tendance spontanée des cultures  traditionnelles au ritualisme, les Chinois ont gardé  un sens aigu du spectacle. Aussi, une tenue ostentatoire (couleurs vives et parfois brillantes) et standardisée comme la tenue de Tai Chi  trouve-t-elle tout naturellement sa place lors des évènements collectifs. C’est ainsi qu’aujourd’hui, les pratiquants et enseignants traditionnels en sont eux aussi venus, lorsque les circonstances l’exigent (démonstrations, vidéos), à revêtir  la tenue du Tai Chi moderne. Voir

Sans en être personnellement adepte, il faut néanmoins reconnaître que les démonstrations de Tai Chi en tenue « traditionnelle », tout spécialement lorsqu’il s’agit de démonstrations de groupe, sont souvent du plus bel effet – même si l’esthétisme et l’effet émotionnel peuvent, à l’occasion, avantageusement masquer aux yeux des béotiens  la faiblesse du niveau technique de certains participants.

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La tenue de Tai Chi, un vêtement national chinois… mandchou 

La tenue de Tai Chi aujourd’hui 

  1. Il est intéressant de noter qu’à l’Ouest, c’est à peu près au même moment, au début du 4ème siècle, que l’élite du monde gallo-romain passe aussi, sous l’influence des « barbares », de la toge au pantalon et à la tunique.

A propos Tai Chi Lyon

Disciple officiel de la lignée du Tai Chi Chuan originel de Chenjiagou (lieu de création du Tai Chi) sous le nom Pengju 鹏举, j'ai passé plusieurs années en Chine à me former et pratiquer avec Maître Zheng Xu Dong et pratique ces dernières années la Xiaojia avec des maîtres de Chenjiagou (disciples directs du célèbre Chen Kezhong).